Le droit d’aimer jouer en équipe de France sans aimer “la France”

 

On ne compte plus les polémiques dont sont l’objet les joueurs de l’équipe de France quant à leur attachement à “la France”.
Voici quelques principes qu’on entend souvent à propos de la sélection nationale :
“Un joueur devrait aimer la France pour pouvoir porter le maillot bleu.”
“Les joueurs représentent la nation.”
“Un joueur doit toujours privilégier la sélection nationale à son club”.
“Tous les joueurs de l’équipe de France devraient chanter la Marseillaise avec passion.”

Et j’en passe.

S’attaquer à ces convictions, c’est prendre le risque d’être traité de tous les noms : “mauvais français”, “traître”, “idiot”, etc.

Mais, certaines questions se posent :
Qu’est-ce que “la France” ?
Les joueurs de l’équipe de France doivent-ils avoir une relation particulière avec “la France” ?
Les joueurs ont-ils des obligations vis-à-vis de la “nation” ?

En vérité, derrière toute grande entité (souvent utilisée comme autorité), on retrouve toujours des hommes, des idées, des comportements, etc.

Et on en vient à cette idée qui peut choquer : “la France” n’existe pas vraiment.
Elle n’est qu’un vaste ensemble, avec des choses que l’on aime et des choses que l’on n’aime pas.

Certes, on peut dire qu’il y a un “territoire français”, avec certaines frontières bien tracées.
Et on peut être attaché à certaines parties de ce territoire, à certains lieux.
Mais qui aime tous les lieux présents sur le territoire français ? Personne.
Et qui n’a jamais aimé un lieu présent en territoire étranger ? Pas grand monde.

Certes on peut dire qu’il y a des institutions françaises, un gouvernement français, des lois françaises…
Et on peut aimer certains droits, certaines libertés, et certaines lois qui existent en France.
Mais qui a aimé tous les gouvernements français ? Personne.
Qui aime toutes les lois françaises ? Personne.
Et qui ne s’est jamais dit qu’une loi présente à l’étranger ne ferait pas de mal en France ? Encore une fois, pas grand monde.

Certes, on peut dire qu’il y a des “Français”, de par leur lieu de naissance, la nationalité de leurs parents, etc.
Et on peut aimer beaucoup de Français.
Mais qui aime tous les Français ? Personne.
Et qui n’a jamais apprécié un étranger ? Les racistes peut-être… mais sinon… peu de personnes probablement.

Certes, on peut dire qu’on a des expériences et des souvenirs liés au territoire français, aux Français, etc.
Et certaines expériences et souvenirs peuvent être merveilleux.
Mais qui n’a eu que des expériences positives ? Qui n’a que des souvenirs positifs ? Personne.
Et qui n’a jamais eu d’expériences positives en dehors du cadre français ? Certaines personnes probablement… mais une partie seulement.

Et dans le monde d’aujourd’hui, on peut encore davantage goûter aux plaisirs de l’extérieur, aux plaisirs de l’étranger, aux plaisirs en dehors du cadre national.

Et évidemment, les footballeurs d’aujourd’hui ont grandi dans ce monde là, dans ce monde bien plus ouvert que par le passé.
Et de par leur carrière, ils sont généralement incités à s’ouvrir au monde.
Beaucoup évoluent en dehors de leur pays d’origine.
Beaucoup connaissent plusieurs pays au cours de leur carrière.
Beaucoup jouent avec des joueurs de tous horizons.
Beaucoup sont également voués à rencontrer de plus en plus de supporters de tous horizons (les clubs s’ouvrant de plus en plus à l’international).
Beaucoup ont les moyens de multiplier les expériences à l’étranger, de voyager régulièrement, etc.
Au final, beaucoup passent plus de temps à l’étranger et ont probablement plus d’amis étrangers que d’amis français.

Bref, beaucoup de footballeurs ne vivent plus dans un monde fermé.
Ce monde appartient au passé, ou aux gens qui n’ont pas pu, pas su ou pas voulu goûter à la liberté d’explorer d’autres horizons.

Les footballeurs ont généralement appris à exploser leurs barrières mentales, pour vivre leur passion et leurs rêves là où bon leur semble.
La plupart d’entre eux voient la France comme une maison sympathique, mais ils savent qu’il faut faire attention à ce qu’elle ne devienne pas une prison.

Dans le fond, un homme libre et heureux se détache des grands concepts, pour se construire une vie à la carte et alignée avec lui-même.
Et c’est ce que font la plupart des footballeurs.
Ils cherchent des lieux, des institutions, et des personnes qui leur permettent de s’épanouir. qui leur permettent d’être eux-mêmes, qui leur permettent de répondre à leurs désirs profonds.
Ils cherchent des relations mutuellement bénéfiques, dans lesquelles ils répondent à leurs désirs tout en répondant aux désirs de certaines personnes (dirigeants, supporters, etc).
Et évidemment, au cours de leur parcours, ils peuvent s’attacher à certains lieux, à certaines personnes, à certaines atmosphères, à certaines philosophies, etc.

Parfois, il peut y avoir des conflits d’intérêt entre ce que veut un footballeur au fond de lui et ce que veulent d’autres personnes, une institution, etc.
Et généralement, lorsque le reniement et le sacrifice deviennent trop importants, un footballeur va tout simplement aller voir ailleurs.
La loyauté de l’homme libre et heureux, elle est envers ce que lui dicte son coeur, et non envers une institution qui n’a comme réalité que les hommes, les différents désirs, et les différents comportements qui la composent.
Et puis généralement, c’est en pouvant être lui-même et se sentir bien qu’un joueur va également apporter plus de plaisir autour de lui.

Et dans le fond, de plus en plus de Français adoptent cet état d’esprit, cette démarche centrée sur l’épanouissement plus que sur l’attachement à un territoire, à un pays d’origine, à une entité.
La principale barrière pour la plupart des Français, c’est la barrière de la langue.
Mais donnez la maîtrise de l’anglais à tous les Français, et on verra si tout le monde reste en France, si le patriotisme reste au même niveau, et si le “devoir envers son pays” reste une notion fondamentale…

Attention, il ne s’agit pas de cracher sur la France.
Chacun peut trouver en France des choses merveilleuses, qu’il s’agisse de lieux, d’activités, de personnes…
Il s’agit d’un pays qui offre énormément d’opportunités, et dans lequel beaucoup de personnes peuvent s’épanouir et y vivre heureux.
Et dans cette logique, il peut être tout à fait normal de développer une sorte de sentiment positif, une sorte d’amour à l’égard de cette idée vague qu’est “la France”.
Mais cet amour porte toujours sur une notion large, abstraite, diverse, et il s’agit donc d’un sentiment très personnel, complexe, et souvent assez volatile.

Pour apprécier encore plus un match de l’équipe de France (au-delà des affinités possibiles avec les joueurs, le jeu, etc), il est aussi compréhensible de surjouer un peu son attachement à cette vague idée qu’est “la France”.
C’est pour cela que beaucoup de supporters font surgir en eux un sentiment patriotique le temps d’un match, alors qu’ils sont ensuite assez peu patriote dans leur vie de tous les jours.
Et de même, pour être encore plus combatif et performant, un joueur peut très bien surjouer un peu son attachement à ces vagues idées que sont le “pays”, la “nation”, “la France”, etc.

Mais en prenant du recul, c’est toujours en raisonnant à plus petite échelle, sur des éléments bien précis et choisis à la carte, qu’on peut vivre libre et heureux.

Donc, exiger d’un joueur qu’il soit animé par un amour fort de “la France” est un non sens.

Oui, un joueur peut aimer certaines choses liées à la France, certains lieux, certaines personnes, certaines oeuvres, certaines activités, certaines opportunités, etc.
Oui un joueur peut aimer jouer avec certains coéquipiers français.
Oui un joueur peut aimer jouer pour son sélectionneur.
Oui un joueur peut aimer le jeu pratiquer par son équipe nationale.
Oui un joueur peut prendre du plaisir à jouer en équipe de France.
Oui un joueur peut aimer donner du plaisir à tous les éducateurs français qui l’ont aidé et qui sont des supporters de l’équipe de France.
Oui un joueur peut aimer donner du plaisir à beaucoup de supporters français.
Oui un joueur peut aimer l’ambiance liées à l’équipe de France.
Oui un joueur peut avoir un vague attachement à ce vague concept de “France”, en y mettant certaines tendances, une ambiance générale, certaines expériences, certaines images, etc.

Mais ne demandez pas à un joueur de n’aimer que ce qui touche à “la France”.
Ne demandez pas à un joueur de l’équipe de France de déclarer son amour à des concepts aussi vagues que les concepts de “pays”, “nation”, “France”, etc.
Ne demandez pas à un joueur de l’équipe de France d’aimer tous les Français, d’aimer tous les supporters de l’équipe de France, alors que certains sont probablement en train de l’insulter sur Twitter.
Ne demandez pas à un joueur de l’équipe de France de chanter la Marseillaise avec passion si ce chant (lié à des guerres du passé) ne résonne pas en lui.
Ne demandez pas à un joueur de répondre à un devoir national”, alors qu’il a côtoyé des hommes et non une “nation” tout au long de sa vie, alors qu’il ne s’est lancé dans aucun engagement avec la “nation”.
Ne demandez pas à un joueur de représenter “la France”, alors que le football résonne peut-être pour lui comme un jeu et un plaisir, où la pression de représenter 60 millions d’individus (et cette idée vague de “nation”) n’a pas sa place.
Ne demandez pas à un joueur de jouer en équipe de France si des éléments viennent à heurter sa conscience, s’il n’a pas en lui le désir de jouer dans une équipe de France qui ne résonne pas en lui.
Bref… ne demandez pas à un joueur de ne pas être lui-même.

Il est rarement bon que les concepts de “nation” et d’attachement à la “nation” soient plus forts que la personnalité, les valeurs, les désirs et les ressentis des individus.
Quand des concepts aussi larges, flous, et puissants commencent à dicter des comportements, on glisse sur une pente dangereuse, une pente qui ne rend pas les hommes heureux.

Le football est une terre de plaisirs partagés, pas une terre où l’on vient semer un sentiment patriotique… qui n’est jamais le sentiment le plus fort chez les hommes vraiment libres et heureux.

Les seuls critères qui vaillent pour jouer en équipe de France, c’est l’envie de jouer en équipe de France, la compétence footballistique, l’attitude avec les partenaires, l’attitude sur le terrain, l’attitude avec les supporters respectueux… toutes ces choses qu’on pourrait regrouper sous le terme de “compatibilité” (sportive, psychologique, social…).

Un joueur peut sincèrement vouloir jouer en équipe de France, pour tout un tas de raisons.
Il peut y mettre son coeur sur le terrain, prendre du plaisir et en donner.
Et au final, c’est tout ce qui compte.
Parce qu’une fois sur le terrain, on ne joue pas pour “la France”, on joue pour son plaisir et pour celui des supporters.

Vive le plaisir et vive le foot.

 

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